Août 2011 – Norvège

L’Alta elva, au cœur de l’histoire du pays sami

Texte : Aurélien Rateau

Catégories de portfolio : Rivières de Laponie.

Expédition canoë de Kautokeino à l’océan arctique en août 2011.

— Les préparatifs —-

C’est un samedi de la mi-juillet, après des semaines de tergiversations, Stéphan et moi avons enfin calé les dates de nos vacances. Depuis des mois, nous parlons d’aller faire… du canoë. Forcément, les billets pour l’Alaska sont maintenant bien trop chers. Nous achetons une carte de Scandinavie.

Nous avons la révélation quand nous la déplions. La rivière Alta elva. La rivière la plus au Nord d’Europe. Un coup d’œil au topoguide des rivières scandinaves (toujours en allemand) : 150 km de long mais un portage de 40 km à prévoir. Nous nous lançons donc, au milieu de l’apéro, dans les dessins techniques d’un chariot.

Nous poussons les investigations dans la semaine et apprenons, hélas, que le portage n’est long que de 4 à 5 Km. Nous remisons le projet de chariot dont, connaissant mes talents de bricoleur, qui plus est associés à ceux du redoutable ingénieur qu’est Stephan, je ne doute pas qu’il eût constitué une indéniable réussite… C’est une petite déception. Ça perd son petit côté challenge.

Le challenge n’est pas forcément là où on l’attend. Nous aimerions aller jusqu’au Finmark, cette bande de Norvège tout au Nord de la Scandinavie, en train.

Renseignements pris, ça n’est pas un voyage mais une épopée :

Paris- Hambourg
Hambourg – Copenhague
Copenhague – Stockholm
Stockholm – Lulea
Lulea – Tornio
Tornio – Kemi
Kemi – Rovaniemi
Rovaniemi – Kautokeino

Le tout en 3 jours et demi.

Sans compter la queue, probablement d’une durée à peu près équivalente, à Saint-Lazare pour acheter les billets.

C’est décidé, nous prendrons l’avion.

Nous atterrissons donc le 30 juillet à Rovaniemi en Laponie finlandaise.

En prévision du portage, j’ai acheté un nouveau sac à dos étanche plus confortable pour y mettre le canoë. Et bien ledit sac étanche est … percé à plusieurs endroits, trainé qu’il a été par ces cochons des aéroports. Heureusement, à Rovaniemi, la ville du Père Noël, nous trouvons de quoi réparer. Dans un moment d’euphorie, je m’équipe même d’un fumoir à poisson et ses 3 kg d’inox, espérant pouvoir ramener quelques prises au bercail. Stephan que j’ai sévèrement rationné, genre « trois slips, pas un de plus, tu m’entends », fait la moue.

Nous quittons Rovaniemi en bus, non sans avoir été prévenus qu’il nous faudrait trouver une autre ligne pour le retour. Le car que nous empruntons ne circule qu’en saison estivale, laquelle se termine le 8 août.

D’ailleurs, nous arrivons à Kautokeino

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en Norvège et le temps se rafraichit. Il ne fait jamais plus de 10 -12 degrés. Nous achetons des permis de pêche qui ne sont délivrés qu’en échange d’une désinfection du matériel de pêche et, en l’occurrence, du bateau.

Le 4 août, il est temps de nous mettre à l’eau.

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— Kautokeino – Masi (4 août / 8 août) : la croisière s’amuse

Pendant 4 jours, l’eau est calme, le temps et frais et gris. Nous n’avons pas d’autre préoccupation que de savoir quel type de poisson va se retrouver dans notre assiette pour le dîner et comment le cuisiner.

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Tantôt des poissons d’eau calme, tantôt des poissons d’eau vive

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Deux omble chevaliers

que nous prenons bien souvent dans des petits affluents de la rivière.

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Nous nous levons vers 9 heures, rangeons le matériel, préparons le bateau et partons à la pêche. Autour de 11 heures. Nous revenons vers 15 heures, cassons la croûte et mettons les voiles (enfin façon de parler) pour 3 ou 4 heures de canoë. Le parcours n’est pas très long, inutile d’en faire plus chaque jour. Il faut parfois gérer la température qui descend très vite dès que le soleil se cache. La faute, d’après moi, aux rayons obliques qui ne chauffent pas le sol et à ce fichu vent du Nord (nous trouvant déjà au Nord de la Norvège, nous n’avons pas de mal à imaginer d’où vient le vent et pourquoi il est si froid)… Tous les soirs, il faut ramasser des quantités de ce bois mouillé pour nous réchauffer et faire cuire notre pêche.

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Le dîner avalé, nous contemplons les tournoiements prudents des mouettes. Les abats de poissons auront disparu au petit matin.

Nous ne voyons que quelques rênes. Nous apprendrons plus tard qu’ils délaissent les plaines pour les montagnes l’été pour fausser compagnie aux moustiques. Tout boursouflés et plus bêtes que des rênes…

Dans l’échelle de la bêtise, les lemmings doivent être bien classés aussi.

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Ces hamsters sont connus pour leur propension au suicide collectif lors de la migration (en fait, quand l’un d’entre eux tombe d’une falaise, tout le groupe le suit sans sourciller, paraît-il) et leur démographie cyclique. Ils pullulent tous les 4 ans. Cette année est vraiment exceptionnelle, nous a-t-on dit. Toujours est-il que ces animaux, incapables qu’ils sont de courir vite et même de se cacher, n’ont que leur deux dents menaçantes pour eux. Acculés, ils piquent une furieuse colère, toutes quenottes dehors. Nous renonçons à en capturer pour en faire de jolis animaux de compagnie (le trend de la rentrée à Paris…). Pas leurs prédateurs (nous verrons plusieurs hermines). Le nombre de cadavres éventrés en témoigne.

Ainsi vont les 4 premiers jours. Quelques rapides.

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L’eau est exceptionnellement basse suite à un hiver et un printemps très secs et il faut faire attention aux rochers qui affleurent. Nous nous trouvons ainsi échoués à plusieurs reprises au milieu du courant. Situation pas très confortable. Nous faisons notre premier petit portage pour contourner une jolie chute…

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— Masi – Alta Dam (9 août – 12 août) : ça devient sauvage —

Après quelques kilomètres d’un magnifique courant, nous arrivons à Masi, village de 150 habitants, et allons faire quelques emplettes à l’épicerie pour nous sustenter (que des produits de première nécessité bien sûr : bières, cacahuètes, chips et chocolat essentiellement…).

L’addition est salée mais le gérant sympa. Il nous offre des morceaux de cœurs de rênes séchés. Une friandise pour les lapons… Le lendemain, un de ses amis nous propose de séjourner dans son tepee situé quelques dizaines de kilomètres en aval. Nous passons une journée à proximité de Masi et pêchons nos premiers ombres.

Nous reprenons la route pour plusieurs dizaines de kilomètres de lacs avant le fameux portage. Nous sommes vraiment dans une zone très isolée. La route s’est maintenant détournée du cours de la rivière en perspective du canyon. Nous prenons moult brochets, un poisson guère apprécié par les habitants du coin qui lui préfèrent les poissons d’eaux vives, truites et ombles chevaliers. Nous passons la nuit au niveau du dernier rapide avant le lac de barrage et ses redoutables 30 km. Nous passons finalement le lac sans encombre, si ce n’est une petite averse de grêle …

Nous approchons du barrage et laissons le bateau dans une crique. Le tepee promis n’est pas difficile à trouver.

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Il y a du bois sec et le feu se fait au milieu du tepee. Pour la première fois du voyage, nous allons pouvoir nous délasser, dans une relative douceur, allongés sur des peaux de rênes. Moment charmant auquel la photo qui suit ne rend pas vraiment hommage.

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J’ouvre un livre. Le lièvre de Vatanen (à lire !).

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— Alta Dam – Alta (13 août – 16 août) : ça secoue

Il est bien difficile de quitter les lieux le lendemain matin, surtout avec la journée qui nous attend.

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Mais elle est encore pire qu’imaginée. Il faut longer le canyon pendant quelques kilomètres avant de plonger dans ses 300 mètres de dénivelé.

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Pas de chemin, pas même la certitude de ne pas nous trouver face à une falaise qui nous obligerait à tout remonter pour chercher un autre passage. Les moustiques nous harcèlent. Nous arrivons en bas, éreintés. Mais, il faut quand même nous lancer dans un aller-retour supplémentaire pour aller chercher le bateau, cette fois. Seule satisfaction, nous apercevons deux rênes

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et quelques lagopèdes (des perdrix qui blanchissent l’hiver). De loin la journée la plus dure (même si lâcher tous ces poissons dans la rivière pour Stephan n’a pas été de tout repos non plus. Chut, ne lui dîtes pas J) !

Passé le barrage, le courant est rapide et nous décidons de limiter volontairement notre progression afin de profiter de ce nouveau cadre. Sans cela, nous pourrions facilement parcourir les quelques dizaines de kilomètres qui nous séparent de la côté en une journée.

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Il fait maintenant chaud (jusqu’à 25 degrés, ce qui est inhabituel à cette latitude) et nous sommes confrontés à un problème d’un genre nouveau. Planter la tente à l’ombre. Pour éviter de se réveiller en sueur à 5 heures du matin dans une tente transformée en étuve (le soleil se levant à 2 heure et demie du matin)…

Les saumons sautent. Ils remontaient naguère toute la rivière. La construction du barrage en 1987 a donné lieu à une vraie contestation notamment de la part de la population same. Le projet a été revu à la baisse mais a quand même été réalisé. Nous tentons notre chance à la pêche avant qu’une barque de pêcheurs nous apprenne (peut-être le savions-nous déjà et avons nous occulté ?) que notre permis n’est pas valable au-delà du barrage et que nous aurons de gros ennuis si nous sommes attrapés. Ne souhaitant pas être confrontés à l’administration norvégienne (que je soupçonne d’être plus policée mais, au final, moins coulante que la prefectura naval argentine), nous rangeons les gaules.

La proximité de la côte doit engendrer un climat plus doux et nous trouvons de nouveaux arbres dont le bois brule fort bien. Dommage que nous n’ayons plus de poisson à cuire… Mais, les pêcheurs repassent et nous balancent un poisson depuis le bateau pour notre dîner.

Deux jours nous séparent maintenant de la côte, l’unique gros rapide de la descente s’annonce. et je crois bien tenir ma première descente maitrisée de bout en bout, pas de pagaie cassée, pas de dessalage intempestif… Le match de référence comme on dit en rugby. Nous décidons de passer le rapide à la cordelle, c’est à dire de laisser le canoë dans l’eau et de le guider depuis la berge à l’aide d’une corde.

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Au moment de contourner un gros bloc, le courant qui s’engouffre d’ordinaire sous le rocher, vient buter sur le flanc du bateau et le fait gîter. L’eau rentre dans le bateau, le bateau coule et le sac à l’arrière se fait la malle. Je le récupérerai 50 mètres plus bas mais l’embout de gonflage et le kit de réparation du bateau négligemment placés dans le filet à l’arrière du bateau auront disparu. Nous ne pourrons que nous réjouir que cette mésaventure ait eu lieu en aval du barrage. Il aurait été fort compliqué de descendre dans le canyon avec le bateau gonflé… Nous avons réussi à faire (quasiment) chavirer le bateau … sans être dessus. Mon égo est … dégonflé…

Passé le rapide, les barques de pêche sont nombreuses.

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La pêche au saumon est une institution ici. D’ailleurs, notre dernier bivouac nous donne l’occasion de discuter avec des pêcheurs et nous comprenons mieux l’hostilité que nous avons rencontrée quelques jours plus tôt, cannes en main. Chaque année 5000 habitants du secteur participent à une loterie pour gagner 700 journées de pêche. Les heureux gagnants doivent tout de même débourser 180 euros pour la journée qu’ils ont gagnée. Ils peuvent amener leurs copains et se relayer (je n’ose pas imaginer une telle réglementation en France où lesdits copains en auraient rapidement assez de pêcher chacun leur tour. Imaginons une ouverture sur l’Auzon par exemple…). Il y a également des tirages au sort pour les étrangers. Il faut compter dans les 300 euros la journée mais il y a quand même de nombreux candidats, la rivière abritant les plus gros saumons atlantiques du monde, nous dit-on. Record 26 kg.

Pour cette dernière soirée, nous ne sommes pas les moins chanceux puisque un de ces pêcheurs nous offre le petit saumon qu’il vient de prendre. Cela fait trois jours qu’ils en mange nous dit-il. Il en a ras la bol du saumon !

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Ca sera sushi de saumon et saumon grillé. Divin…

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A peine le temps de nous délecter que notre ami pique un autre saumon. Le premier était effectivement « petit ». Je l’aide à le mettre à l’épuisette. Poignée de main et rasade de whisky pour célébrer ce saumon de 8/9 kg.

Nous poursuivons notre descente le lendemain et atteignons rapidement Alta, ou plus exactement son camping situé à 5 km du centre ville. Nous resterons deux nuits mais partirons dès que possible, usés par cette marche quotidienne imposée, sans le moindre secours des automobilistes. Allure de vagabonds oblige…

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Le fjord d’Alta

Il ne nous restera plus qu’à prendre une noria de bus pour retourner à Rovaniemi dont nous décollerons le 21 août. Stephan met la main à son carnet dessiné :

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